- MENDÉLÉ MOKHER SEFORIM
- MENDÉLÉ MOKHER SEFORIMMendélé est le promoteur universellement reconnu de la littérature yiddish moderne. Il se révéla un conteur de taille, à la plume acérée, à la vision pénétrante, sachant trouver le mot juste, l’expression pittoresque et parfois féroce. Le yiddish, dont il utilisait toutes les ressources et qu’il enrichissait par des néologismes devenus classiques, acquit droit de cité. Il l’éleva au niveau d’une langue littéraire, si bien qu’il suscita très vite de nombreux émules. Le plus célèbre d’entre eux est sans conteste Cholem-Aleikhem, qui, par affection pour Mendélé, le salua du titre de «grand-père de la littérature yiddish».La « Haskala » en RussieOriginaire de Kopyl, en Biélorussie, Mendélé Mokher Seforim, alias Chalom Jacob Abramovich, vécut en Lituanie puis en Ukraine – il mourut à Odessa. Vers le milieu du siècle dernier, il débuta dans les lettres hébraïques, après une jeunesse à la fois studieuse et aventureuse. La Haskala (l’époque des Lumières) se manifestait alors parmi la population juive de Russie, avec un retard d’un siècle sur le reste de l’Europe. Au pays des tsars, les sujets juifs végétaient, enclos dans des régions bien déterminées, au sud et l’ouest de l’immense empire – taillables et corvéables à merci. Le pouvoir, sous Nicolas Ier, ne leur épargnait aucune charge: impôts écrasants, insécurité physique, service militaire de vingt-cinq années, obligatoire pour tous et allongé de plusieurs années par une grâce particulière pour les Juifs, qui devaient encore supporter certains impôts locaux.Dans un roman allégorique, Di Kliatché , Mendélé compara plus tard cette malheureuse population à une haridelle (en yiddish: kliatché ) qui ne trouvait de consolation nulle part, pas même auprès des Maskilim , ces tenants des Lumières, qui, au lieu de donner à manger à la pauvre bête affamée et pourchassée, l’accablaient de reproches et la gorgeaient de leçons de morale et de bienséance.Mendélé avait commencé, lui aussi, par prêcher à ladite haridelle la bonne tenue et les belles manières. Il la méprisait comme le faisaient ses congénères, les Maskilim, qui n’avaient d’yeux que pour les «Berlinois» (ainsi qu’on appelait les disciples du philosophe juif allemand Moïse Mendelssohn), devenus de parfaits Européens, parlant la langue du pays et s’habillant à l’allemande.À l’époque, il était de bon ton, parmi les intellectuels juifs russes (tout au moins chez ceux qui ne s’étaient pas totalement assimilés à la culture slave), de publier uniquement en hébreu. Or, si tous les Juifs savaient lire la Bible dans l’original et le rituel hébraïque – l’analphabétisme étant quasiment inconnu parmi eux –, bien peu connaissaient assez l’hébreu pour assimiler les œuvres profanes publiées dans la langue des Prophètes. L’idiome courant était le yiddish, abhorré par l’intelligentsia juive, considéré par les écrivains comme un vulgaire jargon qu’il importait d’extirper du peuple. Pour y parvenir, et afin de démontrer à ceux qui le parlaient l’ignominie du yiddish, ils se virent forcés d’utiliser cette langue, puisque la majorité du peuple n’en connaissait point d’autre... Ainsi, maints auteurs hébraïques qui, jusqu’alors, en étaient réduits à ne se lire qu’entre eux acquéraient enfin un public avide de lecture.La conquête yiddishC’est alors que Chalom Jacob Abramovitch accomplit l’inévitable révolution. Rompant avec l’aberrant ostracisme prononcé contre la langue populaire, il se mit à écrire ouvertement en yiddish, nullement pour condamner cette langue, bien au contraire. Ce ne fut pas non plus pour chapitrer le pauvre monde, mais pour fustiger ses persécuteurs tsaristes et ses «bienfaiteurs» locaux.Un renversement ne tarda pas à se produire. Les pamphlets anti-yiddish furent battus en brèche et les timides essais littéraires publiés en yiddish furent revalorisés. Une littérature flambant neuve apparut.Le sévère Chalom Jacob Abramovitch prit le pseudonyme débonnaire de Mendélé Mokher Seforim, qui signifie «Mendélé le marchand de livres» (appellation purement hébraïque: les hébraïsmes ne se comptant plus dans la langue yiddish, à laquelle ils confèrent une inimitable saveur). Dans ses œuvres, qui reflètent la vie et les souffrances, les travers et les aspirations de la population dont il était issu et à laquelle il allait se consacrer désormais, cette dernière se reconnut pleinement et d’emblée adopta l’auteur. Elle ne fut pas la seule à lui faire fête: des critiques éminents décernèrent des éloges mérités au courageux et talentueux Mendélé dont les romans, pièces de théâtre, récits autobiographiques se succédèrent à une cadence rapide, pour la grande délectation de ses lecteurs, de plus en plus nombreux.Ce sont pour ne citer que les principaux: Le Petit Homme (Doss kleine Mentchélé , 1864), L’Anneau porte-bonheur (Doss Wintchfinguerl , 1865), Fichké le boiteux (Fichké der Kroumer , 1865), Les Voyages de Benjamin III (Massoès Binyomine hachlichi , 1875), La Taxe ou la Bande des bienfaiteurs de la cité (Di Taxè odèr di Bandè chtot baalé-teivess , 1869), ainsi que La Haridelle (Di Kliatché , 1873) déjà mentionnée. En même temps, sans renoncer à une littérature didactique de bon aloi, il publia plusieurs adaptations de l’hébreu et d’autres langues (telles le russe, l’allemand et le français), allant d’un manuel d’histoire naturelle à un Almanach pour Juifs russes , en passant par la traduction de Cinq Semaines en ballon de Jules Verne: «Un beau récit mis au point en yiddish avec l’aide de mon ami, le distingué savant Bienstock.» Mendélé, qui maniait avec le même brio l’hébreu et le yiddish, est un classique dans ces deux littératures.Il est mort à Odessa en pleine révolution russe. Quant à Kopyl, sa bourgade natale, elle a subi le sort de toutes les agglomérations juives en Europe. En 1942, les soldats du IIIe Reich ont massacré la plus grande partie de sa population. Seules vingt familles juives y subsistent.
Encyclopédie Universelle. 2012.